Huit clefs pour la réussite des projets

Par Christian DOUCET
En cas de reprise, merci de citer l’auteur.

Article paru dans la lettre d’ADELI

8 clefs pour la réussite des projets

Comment dompter l’incertitude et les risques ?

Les projets sont probablement parmi les opérations les plus difficiles à réussir. Pour une bonne raison : qui dit projet dit innovation, et donc risques, incertitudes. Or les enjeux deviennent de plus en plus élevés et les conséquences des retards ou aléas techniques de plus en plus graves. La bonne maîtrise des projets, c’est-à-dire leur réussite technique dans les délais et les coûts fixés, devient donc un vrai enjeu, parfois vital, pour les entreprises.

Ancien directeur de la qualité et des méthodes pour de grands programmes militaires qui ont bien réussi, ancien professeur de gestion de projet à l’ENSTA et auteur d’un livre sur le sujet (la maîtrise des projets complexes), toujours consultant dans le domaine, Christian DOUCET résume dans ce qui suit les clefs qui sont à son avis déterminantes pour la réussite.

 

La réussite d’un projet est par nature difficile car il s’agit de dompter l’incertitude et les risques qui sont multiples : risque que les besoins du marché évoluent (et donc de ne pas vendre et rentabiliser l‘investissement), risque d’aboutir à un produit présentant des risques d’accidents (avec des suites financières et juridiques qui peuvent être rédhibitoires), risques de retard et de dépassement des coûts suite à des aléas imprévus, dont les causes peuvent être elles-mêmes variées : désaccords entre les partenaires, échecs techniques, répercussions en cascades de retards… Bref, réussir un projet n’est pas simple. Nous le constatons d’ailleurs en suivant les projets actuels et les causes de leurs déboires.

Résumons quelques règles de bonnes pratiques à respecter pour réussir, règles qui ne sont pas toujours suivies, ce qui est à la source de pas mal des difficultés rencontrées :

 

Motiver et gérer les partenaires

La première recette du succès est d’avoir des partenaires (coopérants, sous-traitants et autres co-développeurs) motivés pour le succès de l’opération. Rien de pire que de devoir travailler avec des entreprises qui ne recherchent que leur propre intérêt par exemple, et qui vont essayer par tous les moyens d’aggraver les coûts ou de préserver leur propre know-how et l’exploitation de celui-ci.

Comment y arriver ? Une bonne solution par exemple : généraliser les contrats à intéressement, contrats qui prévoient une amélioration substantielle de la marge des intéressés si le projet réussit. Ces contrats sont parfois complexes à mettre au point, mais ils se révèlent très efficaces.

Les enjeux financiers sont faibles, car on agit sur les marges bénéficiaires. Par contre, coopérer avec des partenaires qui réunissent toutes leurs forces dans le même but que vous est d’une grande puissance et garantit pratiquement à lui seul le succès.

Cela demande une bonne stratégie de coopération, en recherchant chaque fois des accords gagnants – gagnants.

Sécuriser les spécifications

Rien de pire dans un projet que les spécifications qui varient. C’est toute la conception qui est alors évolutive, et derrière elle, toutes les études et essais dont la validité est remise en cause. On ne peut pas réussir dans ces conditions.

Comment faire ? Seule solution : mener des études amont suffisamment puissantes pour sécuriser les spécifications.

Penser également à tout : toutes les phases d’emploi, tous les types d’utilisateurs, toutes les contraintes, toutes les interfaces…

Mener des études de préfaisabilité détaillées pour essayer de déterminer toutes les impossibilités ou risques élevés.

Faire ce qu’il faut pour valider clairement ces spécifications, y compris et surtout avec les acteurs de terrain.

Cela peut entraîner des frais importants, mais toutes les données démontrent qu’une économie de 1 à ce stade peut entrainer des surcoûts de 100 ensuite si cela crée des aléas.

Dernière règle impérative, une fois les spécifications validées, « s’asseoir dessus » et ne plus les faire varier. Dans les cas où c’est malgré tout indispensable, grouper les évolutions en quelques versions successives, en refaisant chaque fois tous les essais et toutes les études utiles.

Figure  1: Évolution dans le temps d’une part des coûts des différentes phases de travail,
d’autre part des conséquences des erreurs commises lors de chaque phase

Mettre en place des responsabilités claires

Les responsabilités qui s’entremêlent sont également l’une des voies les plus sûres vers l’échec.

La règle est claire : chaque ensemble, sous-ensemble, constituant, etc.… doit être attribué avec des responsabilités uniques et claires, à la fois pour sa conception, sa réalisation, sa validation et sa commercialisation.

Citons quelques contrexemples courants :

  • Pour un même élément, une entreprise est chargée de la réalisation de la structure et l’autre des calculs de résistance. On peut être sûr (loi de Murphy) que les calculs ne seront pas adaptés à la structure finale.
  • Pour un même élément, une entreprise est chargée des études et une autre de la réalisation : Il est absolument certain (même loi) que la conception sera mal adaptée à la fabrication, entraînant une forte aggravation des coûts de série

Donc, si on veut échouer, répartir les responsabilités est une recette infaillible.

Assurer une gestion globale (tous acteurs)

Un projet a généralement des incidences sur une masse considérable d’acteurs, depuis le marketing, qui suit le marché et les demandes, les commerciaux, qui se préoccupent des futures ventes, les financiers, les études, les ateliers prototypes, la fabrication, l’après-vente, la logistique, quand ce n’est pas les distributeurs, les sous-traitants, voire parfois les pouvoirs publics…

C’est compliqué, mais si on ne veut pas voir l’un de ces acteurs mettre des bâtons dans les roues, ce qui mettra en route la machine à multiplier les coûts et les retards, il est essentiel de les associer tous au projet d’une façon ou d’une autre, et cela le plus tôt possible, y compris dès les phases de pré-faisabilité initiales. Il faut aussi sécuriser cette coopération complexe par des écrits responsabilisant les acteurs, afin que leurs dires varient le moins possible dans le temps (ceci rejoint le figeage des spécifications).

Gérer la performance finale

On n’obtient pas ce que l’on ne cherche pas. Par exemple, si on ne gère pas dès le début le futur coût unitaire de revient du produit lorsqu’on le commercialisera, il est inévitable que ce coût dérive fortement, rognant ensuite les marges bénéficiaires, voire les annulant.

On évaluera donc de façon continue les coûts et délais de développement à achèvement, les coûts de revient en série, les coûts après-vente, etc.… (cela ne signifie pas qu’on est capable de les évaluer précisément dès le début, simplement on en tiendra compte dans les choix techniques et  le degré d’imprécision diminuera dans le temps).

Anticiper et gérer les risques

La meilleure façon d’éviter les risques est de les anticiper. L’un des premiers rôles de l’équipe de projet est donc d’analyser en permanence les risques et de prendre toutes mesures pour les prévenir :

  • Risques techniques : on renforcera les études amont, avec des validations progressives, on prévoira éventuellement des solutions de secours développées en parallèle…
  • Risques calendaires : on prendra des marges, on suivra particulièrement en amont les travaux concernés, on veillera à un suivi qualité renforcé sur les chemins critiques…
  • Risques financiers : on appliquera des précautions similaires aux précédentes sur les tâches particulièrement coûteuses.
  • Risques industriels (disparition de partenaires, de compétences, etc.…) : on prévoira, dès que le risque apparaît, des solutions de rechanges.

Une remarque importante : ce n’est pas le coût prévisionnel du projet qui est important mais le coût réel à la fin. Dans un projet qui gère bien les risques, le coût à achèvement diminue dans le temps.

Il est clair en particulier qu’il vaut mieux engager plus d’argent au début, notamment pour soigner les études, que de shunter celles-ci dans l’espoir d’être moins cher.

Seconde remarque : quand je parle d’analyses de risques, je ne pense pas aux AMDEC et autres méthodes complexes qui consistent généralement surtout à noyer le poisson, mais à des analyses concrètes menées par les responsables eux-mêmes.

Les économies sur les études et essais sont les voies les plus efficaces pour obtenir in fine de fortes dérives du projet.

Mettre en place un phasage et une méthodologie éprouvés :

Un projet est une mécanique très complexe, comprenant des milliers de tâches interdépendantes, qui doivent s’enchaîner et se coordonner les unes par rapport aux autres de façon parfaite.

Il faut bien entendu planifier avec soin l’ensemble, mais il faut aussi et surtout une méthodologie rigoureuse que je résumerai ainsi :

D’abord un phasage progressif à tous les niveaux, chaque phase étant validée par un point clef : études amont de pré-faisabilité, spécifications fonctionnelles, spécifications détaillées, maquettes, prototypes de développement, prototypes de fabrication, qualification, pré-série, série… (ceci étant à adapter à chaque situation…).

L’important ici n’est pas le papier (les projets sont maintenant submergés de plans de management, d’analyses de risques…) mais bien la logique technique sous-jacente, qui permet de valider progressivement les items développés, de détecter les problèmes et de les corriger.

Chaque phase doit aussi préparer soigneusement la suivante : les études doivent se préoccuper de la fabrication et du SAV par exemple.

Il est en outre important que ces méthodes restent stables. C’est leur permanence qui permettra aux équipes de bien les maîtriser : on montre facilement que des méthodes bien appropriées et bien assimilées permettent de réduire considérablement les coûts et les délais.

Ainsi, on peut réduire par deux, voire plus, les délais de développement d’un équipement une fois que toutes les équipes ont les mêmes langages et les mêmes pratiques, avec en outre un gain très net de qualité.

Assurer un suivi qualité efficace :

Je n’entends pas ici la qualité au sens du respect de normes, de méthodes standardisées, de plans de qualité, etc.… J’ai souvent plutôt constaté que, plus on formalise, plus on déresponsabilise et plus on démotive. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas écrire, mais qu’il faut se limiter à écrire ce qui est strictement utile opérationnellement parlant.

L’action qualité doit plutôt consister à accompagner l’analyse des risques et à aider à leur prévention, exemples :

  • Un essai est particulièrement coûteux : on mettra en place une forte rigueur pour sa préparation et son exécution
  • Un sous-traitant doit réaliser des travaux demandant des compétences poussées : on l’auditera pour vérifier qu’il a bien les moyens et l’expérience nécessaires (je parle d’audits fonctionnels et non pas d’audits de conformité)
  • Des paramètres critiques sont difficiles à obtenir : on mettra en place un suivi ciblé et si nécessaire des études renforcées.

Et ce suivi doit être ensuite permanent. Ainsi, pour Airbus, on peut s’étonner que les incohérences entre les bureaux d’études n’aient pas été détectées et réduites dès le début.

En conclusion :

En conclusion, les dérives constatées sur les projets s’expliquent la plupart du temps par le non-respect de règles simples : études initiales insuffisantes, partenaires qui ne s’entendent pas, aléas non anticipés, formalisme trop lourd, chef de projet qui n’a pas l’autorité ou l’expérience suffisante, etc.…

Certes, de bonnes pratiques ne garantissent pas le succès. Il y a et il y aura toujours dans les projets des aléas non prévus. Mais, mieux on maîtrise le projet et mieux on peut traiter ces imprévus. C’est même le signe d’une organisation performante que de pouvoir absorber les aléas sans trop de casse.

Et c’est ce qui conduit au succès…

Christian DOUCET

 

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By |2017-05-26T17:21:31+00:00mai 26th, 2017|Categories: Articles|Commentaires fermés sur Huit clefs pour la réussite des projets